Antoine Kruk

Paris

« L’affaire est dans le sac ! » ; Quand un sac de shopping se mue en œuvre d’art

On l’avait connu designer de mode collaborant au sein de prestigieuses Maison à l’instar de Thierry Mugler puis Roberto Cavalli, Valentino, Nina Ricci ou encore auprès de Marc Jacobs chez Louis Vuitton. Par la suite on a retrouvé Antoine Kruk créateur de costumes de scène pour des Opéras mais également pour la revue du Crazy Horse à Paris.

Mais c’est en tant qu’illustrateur que ce créateur aux multiples talents se distingue aujourd’hui. Les lecteurs guettent avec impatience ses représentations pleines d’esprit et d’humour de la Parisienne qui paraissent régulièrement dans les pages du Figaro Madame. Des dessins dont les originaux s’arrachent à chacune des expositions qui leur sont consacrées dans diverses galeries d’art parisiennes.

Et voici qu’Antoine Kruk se lance dans une entreprise inédite à mi-chemin entre art et recyclage créatif. Il donne une seconde vie à des sacs de shopping principalement de grandes marques à l’instar de Chanel, Dior, Nina Ricci… Mais pas seulement, puisque H&M a eu le privilège de figurer dans cette audacieuse collection.

Du coup en cette période de fêtes, le sac sensé contenir un cadeau devient le cadeau que l’on peut offrir.
À l’occasion de l’exposition « Fashion Illustrators » qui se tient à la Alfalibra Gallery à Paris jusqu’au 22 décembre, KER MER a pu poser quelques questions à Antoine Kruk.

KER MER. Au cours de votre carrière vous avez commencé par habiller les femmes, puis les représenter dans vos illustrations lestées d’une multitude de sacs de shopping. Aujourd’hui ces sacs sont devenus vos muses. Comment s’est opérée cette évolution ?

Antoine Kruk J’évolue en regardant mon temps. La frénésie du shopping va augmentant. Avant on regardait avant d’acheter, aujourd’hui on achète sans regarder. A force de côtoyer l’envers du décor, on finit par en comprendre tous les rouages ; La mode était une fabrique à rêve, elle est de plus en plus une fabrique à produit de consommation. Avec la démocratisation de la mode, on vend au plus grand nombre des goodies, des tout petits riens, estampillé d’un logo et on vous donne ça dans un sac shopping.

Aujourd’hui dessiner ou peindre, ou créer autrement m’intéresse parce que j’y retrouve cette liberté d’expression que le marketing mode à un peu bridé. L’idée n’est pas juste de faire du beau : l’Art permet une meilleure réflexion sur la beauté, la vanité,…sur nos forces et nos faiblesses.

KER MER. Quelle est la part artistique et écologique dans votre démarche ?

AK. L’écologie est à la mode, c’est sûrement une des nécessités pour sauver la planète ; En réalité il faudrait dire, pour que la planète puisse se sauver de nous humains peu scrupuleux. Je ne cherche pas a récupérer cette vague et surfer dessus. Disons que la récupération des sacs shopping est le point de départ de ce travail artistique.

Ensuite je recycle ces emballages le plus souvent destinés à être jetés et j’en fais le support d’un discours vivant et ironique sur la mode. Si vous voulez, c’est comme si je dessinais une fleur sur une fleur; je représente le contenu de la mode sur son contenant. Comme Lavoisier l’avait dit si bien : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

KER MER. Quelle est la genèse d’un sac objet d’art ?

AK. J’accumule dans mon atelier quantité de sacs shopping, de grandes marques de luxe ou non, en tout cas populaires. C’est important car ainsi l’œil du spectateur peut alors se remémorer un logo qu’il a déjà assimilé auparavant à un objet du désir. Il y a une part reconnaissance collective.

Ensuite je peux choisir un sac et le regarder longtemps, le tourner dans tout les sens, jusqu’a se que cela m’évoque quelque chose. Si possible en rapport avec la marque ou ce qu’elle véhicule.

Je peins dessus, j’efface légèrement des parties du logo, je coupe, je colle… Bref je torture le sac pour en faire une re-création. Ma démarche consiste à utiliser ce qui se trouve sur le sac et d’éviter d’ajouter des éléments étrangers. J’utilise une étiquette, les cordons qui font les anses, les rubans, tout se qui se trouve in situ.

Lorsque j’ai fini, apparaît un mélange entre traces du passé et du présent. Le sac d’origine, et l’œuvre nouvelle.

Le logo s’est mélangé aux traits, l’écriture est devenue dessin, le deux sont comme des calques qui fusionnent ; je me réapproprie ainsi un langage étranger pour le faire mien.

Je mets le tout dans un cadre boite, comme un papillon pour en garder la tridimensionnalité et la notion d’objet rare, comme pour un nouveau cabinet de curiosité.

KER MER. Que symbolisent ces sacs au fond ?

AK. Le fait de consommer, de se charger de biens matériels ; mais il me semble que la satisfaction d’acheter ces rêves ne dure jamais longtemps.

Mes sacs sont vides d’achats, mais plein de sens. Initiés à partir d’un produit de consommation jetable, ils se sont transformés en rêves un peu plus durables.

J’aime regarder la société, capter l’air du temps, ses mœurs, ses travers, ses attitudes, et retourner le miroir vers mes contemporains. J’aime qu’au final les gens se voient et se reconnaissent, sourient d’eux mêmes et se sentent comment un « arroseur arrosé », plutôt qu’ils ne regardent juste une composition harmonieuse de formes et de couleurs. Ces sacs veulent témoigner et parler de moi, de vous, de nous ; Alors, l’affaire est dans le sac !

KER MER. Et vous quel rêve avez vous par rapport à ce travail ?

AK.J’aimerai être l’arroseur arrosé à mon tour : Qu’une de ces grandes marques aux logo « intouchable » me demande de créer un sac shopping pour une période ou un événement particulier, et que du coup il soit un ready made sur lequel je n’aurais plus rien à faire! Quoi que … une troisième couche ? (rire)

Rola

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Quyen Schieferstein

mercredi mars 11th, 2020